Le 12 février 1990, Chad Jeremiah Emerson voyait le jour. Sa mère l'éleva seule dans une petite banlieue de la capitale écossaise. Elle travaillait comme professeure à l'Université d'Edinburgh. Elle enseignait la Sociologie. C'était une femme ambitieuse, sérieuse, dévouée aux autres plus qu'à elle-même. Plus qu'à son propre fils.
Chad a donc appris à se débrouiller tout seul. Déjà tout petit, il allait à l'école par ses propres moyens. Jamais il n'en a voulu à sa mère d'être aussi peu présente pour lui. Il l'aimait et la respectait plus que tout au monde. C'était sa mère, quoi qu'elle fasse. De plus, s'il avait un soucis, il savait qu'il pouvait compter sur elle. Elle lui avait appris à se débrouiller de son propre chef, mais lui avait aussi promis de toujours lui venir en aide s'il en avait besoin. Elle avait été là lorsqu'il s'était cassé la clavicule à cause de la balançoire. Elle s'était précipitée à l'école – avec 20 minutes de retard – pour le voir jouer un arbre dans le spectacle de fin d'année.
Plus il grandissait, plus il devenait responsable. Il faisait à manger, le ménage, les courses, la lessive quand sa mère n'en avait pas le temps. Autant dire tout le temps. Jamais il ne s'était plaint, du moins jusqu'à son adolescence.
A 14 ans, il commença à ne plus le supporter. Il se mit à rester dehors tard le soir avec des jeunes un peu plus âgé que lui. Ils allaient dans le skate parc à quelques mètres de chez lui et restaient là plusieurs heures à faire tourner de la weed. Si les flics leur tournaient autour, ils les saluaient comme si de rien n'était. Evidemment, quand ils l'entraînèrent pour faire des conneries, il a suivi. Il passa quelques mois dans un centre de redressement après avoir cambriolé une petite bijouterie.
Les vrais amis ne couraient pas les rues mais il pouvait compter sur Alysse, son amie d'enfance, sa confidente – quand il décidait de se confier. Ses parents et sa mère étaient amis depuis des années et ils se voyaient donc souvent. Chad aimait passer du temps avec elle, elle était la soeur qu'il n'a jamais eu.
On ne peut pas dire qu'il a eut une enfance singulière. Mais à peine eut-il 17 ans que sa mère le quitta. Un chauffard la renversa et s'enfuit sans s'assurer de savoir si elle était en vie ou non. Il se rappelle encore le coup de fil qu'il reçut alors qu'il était en train de mettre la table.
Il balança les assiettes par terre et sentit s'opérer à l'intérieur de lui, des changements anormaux, l'air se faisait rare. Il avait la sensation d'étouffer et il tomba à terre. Peu de temps après, il se sentait différent. Il ne trônait plus dans le salon comme il avait l'habitude de le faire. Il était à quatre pattes. Il tourna sur lui-même, essayant de voir le muscle poilu qui s'agitait sur son postérieur.
*C'est quoi ce bordel, putain ?!*
Il était en colère. Triste. Perdu. Il ne savait pas ce qu'il se passait mais il n'avait pas le temps de s'en soucier pour le moment. Il voulait voir sa mère. Il voulait qu'elle soit toujours là. Il s'agitait dans tous les sens, essayant de trouver un moyen de revenir à son état normal mais n'y parvint pas immédiatement. Quand il se réveilla le lendemain, il était nu dans son jardin. Il ne prit pas le temps de réfléchir, ni même de se laver et enfila les vêtements qui traînaient dans la cuisine pour courir à l'hôpital.
Le jour de l'enterrement, il ne s'était toujours pas calmé. Les transformations persistaient. Il s'emportait et l'instant d'après, il devenait un petit chien adorable et intenable. Alors, il vida la bouteille de Scotsh que sa mère gardait pour les grandes occasions. Son costume noir sur le dos, la cravate non ajustée, il restait debout, sans bouger, les mains dans les poches devant le cercueil fermé de sa mère. Le regard vide, il ne savait pas ce qu'il allait faire maintenant. Il ne pouvait pas rester chez lui, trop de souvenirs. Une main se posa sur son épaule et il sourit en voyant que c'était Alysse. Il posa une main sur la sienne avant de sentir la colère l'envahir de nouveau. Sans un mot, il se mit à courir, laissant tous les invités seuls face à au cadavre de Mme Emerson. Alysse l'appela mais il ne se retourna pas. Il zigzagua entre les maisons, essayant de retrouver le chemin de son chez lui alors que les changements s'opéraient de nouveau en lui. Il leva les yeux aux ciel et la dernière chose qu'il aperçut fut un corbeau. L'instant d'après, il survolait la ville, planait au dessus des habitations. C'était grisant. Cela le calmait. Il fut tellement détendu qu'il finit par atterrir maladroitement sur le toit d'un immeuble en reprenant forme humaine. Tremblant, il espérait que personne ne l'avait vu et il se décida enfin à tout quitter.
Il quitta l'Ecosse après avoir récupérer quelques vêtements et des bijoux qu'il a vendu pour se faire de l'argent. Alysse s'était obstinée à lui envoyer des messages, s'inquiétant pour lui. Il l'aimait comme une petite sœur, mais pour le moment, il n'avait qu'une envie. Il voulait oublier cette vie et savoir ce qu'il était. Car il en était sûr à présent, il n'était pas humain.
" Désolé Aly, il faut que je m'en aille... " envoya-t-il à la demoiselle avant de rompre tout contact avec son ancienne vie.
Avec une petite somme coquette en poche, il s'arrêta à Londres. La ville était grande, agitée, personne ne ferait attention à un jeune paumé qui n'était même pas majeur. L'avantage était qu'il n'avait pas un physique d'adolescent, il pouvait donc se fondre facilement dans la masse sans qu'on lui pose trop de questions. Et puis il y avait toujours des personnes prêtes à enfreindre les règles de temps en temps.
Après 4 ans à écumer les bars en tant que barmaid, serveur et pilier, il se décida à partir aux Etats-Unis. Là-bas, ce serait encore plus facile pour lui. Et cette fois, il était majeur. Les papiers en poche, il attendait l'heure de départ, appuyé contre l'une des vitres de l'entrée de l'aéroport, la clope au bec. Ses oreilles traînaient à droite et à gauche, essayant de savoir ce qu'il y avait d'intéressant dans le monde aujourd'hui. Il capta une conversation qui lui semblait intéressante à côté de lui.
_ Ca existe pas un truc pareil. Une école pour sorc...
_ Parles pas aussi fort. Je te dis que ça existe. Ma petite est là-bas depuis deux ans. Je l'ai toujours trouvé bizarre cette gamine de toutes façons. Ma sœur, Sarah, lui rend visite de temps en temps et elle me dit qu'il y a des gamins encore plus étranges. Je sais pas ce qui s'y trame, mais ça a l'air louche tout ça. Chad jeta son mégot à terre et le laissa se consumer avant d'entrer, son gros sac sur l'épaule. D'abord les Etats-Unis et ensuite il essaierait d'en savoir plus. Il savait depuis quelques mois qu'il était un métamorphe. Il avait surpris un autre que lui, dans une ruelle en rentrant du boulot. Ils avaient plus ou moins sympathisé et l'écossais avait découvert qu'ils étaient nés à la même heure. La coïncidence n'était pas encore assez évidente pour se pencher dessus, mais Chad se posait des questions. Pourquoi à minuit ? Pourquoi lui ? Sa mère en était-elle une ? Son père et c'était pour ça qu'il les avait quitté ? Il tenta de se sortir ces idées de la tête. Un avion n'était pas le meilleur endroit pour se transformer.
Le rêve américain, ce n'était pas pour lui. Il ne voulait pas devenir mannequin, chanteur ou acteur. Il continuait d'écumer les bars, jouait des morceaux dans le métro. Il passait inaperçu comme il le pouvait mais les transformations recommençaient. Il avait découvert que les oiseaux et les chiens n'étaient pas les seuls animaux qu'il pouvait incarner. Le pécule s'accumulait dans un sac bien caché dans la chambre dans laquelle il logeait. Il glanait pleins d'informations et apprit que Shadow Falls – "l'école pour sor..." dont il avait entendu parlé – accueillait aussi les métamorphes. C'était peut-être sa chance d'apprendre à se contrôler. Il n'avait aucune envie de se mêler à d'autres créatures surnaturelles mais il fallait qu'il apprenne à se contrôler.